La petite histoire du Rucher des Allobroges
La querelle bien connue des Anciens et des Modernes a marqué l’histoire de l’apiculture en Savoie. Elle est à l’origine de la création du Rucher des Allobroges et du développement du syndicalisme apicole. En effet, vers la fin du XIXème siècle, l’apparition en Savoie comme dans toute la France de la ruche à cadres mobiles, telle que nous la connaissons aujourd’hui, déclenche chez des apiculteurs éclairés une remise en cause profonde des techniques apicoles ancestrales.
Des siècles de « fixisme ».
Des temps les plus anciens jusqu’à la fin du XIXème siècle, on ne trouvait dans les campagnes savoyardes que des « paillas », c’est à dire des ruches en paille tressée, parfois quelques ruches constituées d’une section de tronc d’arbre creux, ou encore dans les villages de montagne des ruches en osier tressé recouvert de bouse de vache. C’était le temps du « fixisme » en apiculture : les rayons de cire, entièrement construits par les abeilles dans leur logement rustique, étaient solidement ancrés aux parois.
Pour récolter le miel, certains apiculteurs étouffaient quelques paillas. Il était ensuite aisé de prélever tout le miel stocké. Cette méthode barbare avait l’inconvénient majeur d’éliminer chaque année une partie du cheptel, qu’il fallait reconstituer l’année suivante.
D’autres apiculteurs préféraient retourner leurs paillas, puis découpaient à l’aide d’un grand couteau recourbé les deux rayons latéraux, que les abeilles se chargeaient de reconstruire.
Mais cette pratique moins cruelle pour les abeilles s’accompagnait de nombreuses piqûres !
La révolution du « mobilisme ».
En 1878, deux instituteurs, Mrs Miège et Rullier, introduisent en Savoie un type de ruche inconnu jusqu’alors. C’est la ruche à cadres mobiles, inventée par Charles Dadant et Lorenzo Langstroth, apiculteurs américains d’origine française ainsi que par Georges de Layens, apiculteur français. Ces ruches se présentent sous différents modèles mais tous sont basés sur le même principe : à l’intérieur de la caisse, des cadres en bois sont disposés parallèlement.
On peut y loger un essaim d’abeilles. Celles-ci construisent des rayons bien droits, à partir d’une feuille de cire gaufrée que l’apiculteur aura préalablement fixée sur le cadre.
Ce type de ruche fait faire à l’apiculture un progrès considérable : l’apiculteur peut désormais sortir facilement les rayons des ruches, puis en retirer le miel grâce à la force centrifuge d’un extracteur.
Ce cadre mobile ouvre la voie au « mobilisme » en apiculture.
La Tarentaise, pionnière du mobilisme en Savoie.
Les deux instituteurs, Miège et Rullier, en poste à Moûtiers, organisent des conférences pour leurs collègues tarins, au cours desquelles ils présentent les avantages de ces nouvelles ruches. Ils fondent la première société d’apiculteurs à Bourg St Maurice. Très actifs, ils exposent leur matériel au concours régional de Chambéry. Un autre instituteur de Moûtiers, Rochet, convaincu de la supériorité du cadre mobile sur le rayon fixe, propage avec enthousiasme ces idées nouvelles lors de conférences à La Chambre, St Michel de Maurienne, Ste Hélène sur Isère, St Jean de Maurienne et Albens, ainsi qu’à l’Ecole Normale d’Instituteurs d’Albertville.
Le mouvement est irréversible, il gagne toute la Savoie. Malgré la résistance des anciens, rétifs au changement et préférant la bonne vieille ruche en paille, les jeunes abandonnent leurs paillas et, avec l’aide du menuisier local, se mettent à fabriquer des ruches à cadres mobiles.
La création du Rucher des Allobroges.
M. Minoret, ancien élève de Rochet, ressent la nécessité de fédérer les apiculteurs convertis au mobilisme. Il fonde en 1893 à Albertville une société d’apiculture qui s’appellera « Le Rucher des Allobroges », du nom de la tribu gauloise qui peuplait deux mille ans plus tôt, une partie de la Savoie.
Son premier conseil d’administration est constitué uniquement d’instituteurs. Le champ d’action du syndicat couvre toute la Savoie historique, soit les deux départements actuels. Ce n’est que plus tard qu’un syndicat équivalent sera créé en Haute-Savoie.
Dans son article 1er, les buts du syndicat sont clairement exposés :
- vulgariser l’apiculture par tous les moyens : création d’une bibliothèque, publications apicoles périodiques, conférences, expositions, participation aux concours, récompenses.
- faciliter pour ses membres l’achat de matériel et la vente des produits de la ruche.
- étudier les questions qui touchent à l’apiculture.
L’excellente organisation du syndicat et ses objectifs pédagogiques trouveront leur récompense par une médaille d’or reçue lors de l’exposition de Paris en 1900.
L’apiculture moderne se développe en Savoie.
Dans la formation des instituteurs, il y avait une partie agricole, et notamment apicole. Des générations d’instituteurs savoyards vont ainsi diffuser dans chaque commune de Savoie les connaissances apicoles nouvelles : gestion d’une ruche à cadres, production d’un miel de qualité, extraction du miel, participation aux « comices agricoles ».
Cette vulgarisation rigoureuse sera interrompue pendant la guerre de 14-18. Mais elle reprendra dès après, efficacement étayée par le « Bulletin du Rucher des Allobroges », d’abord mensuel, puis bimestriel, annuel aujourd’hui. On assistera à l’apparition des « ruchers communaux », que l’on appelle maintenant les ruchers écoles, où une formation gratuite est dispensée aux apiculteurs débutants. Les paillas et autres ruches rustiques deviendront alors des objets de musée.
Le Rucher des Allobroges au XXIème siècle.
A sa création, le Rucher des Allobroges était le premier syndicat apicole à voir le jour en France. De nos jours, avec 2200 adhérents en 2012 et plus de 19 000 ruches, il est le premier syndicat apicole départemental français par le nombre.
Ses adhérents sont membres du Groupement de Défense Sanitaire de la Savoie.
Il entretient 11 ruchers écoles dans tout le département, tenus par des formateurs bénévoles chevronnés. Les cours sont gratuits.
Dans les 16 sections locales du Rucher des Allobroges, ainsi qu’au Centre d’Etudes Techniques Apicoles que le syndicat a créé, les apiculteurs trouvent la formation et le soutien indispensables. Ils peuvent s’approvisionner en matériel apicole grâce à un Groupement d’achats très important. Ils participent chaque année à l’un des plus grands concours des miels de France, organisé conjointement par le Rucher des Allobroges pour la Savoie et par le Syndicat d’Apiculture de la Haute-Savoie. Présents à la Foire de Savoie comme dans de nombreuses manifestations locales, ils s’engagent avec passion pour le maintien d’une apiculture de qualité, dans une nature qu’ils voudraient la plus saine possible.
Affilié au Syndicat National d’Apiculture (SNA) et à la Fédération Apicole de Rhône-Alpes (FARA), le Rucher des Allobroges, fidèle aux idéaux des pères fondateurs, milite avec passion pour « L’abeille, partenaire de la biodiversité. »
Jean-Paul Charpin
Président du Rucher des Allobroges